Le prélèvement à la source reporté à 2019
"C’est une bonne réforme car elle permet d’ajuster en temps réel la perception de l’impôt à l’évolution de vos revenus. Mais nous allons décaler sa mise en œuvre au 1er janvier 2019". Edouard Philippe a annoncé avant-hier, en réponse à une question d’un lecteur du Parisien, qu’il reportait d’un an l’entrée en vigueur du prélèvement à la source (PAS) de l’impôt sur le revenu. Une argumentation pour le moins curieuse. Premièrement, pourquoi reporter une réforme si elle est bonne ? Deuxièmement, pourquoi le Premier ministre la qualifie-t-elle ainsi alors qu’il veut "tester le dispositif dans des entreprises volontaires et réaliser un audit" ? Troisièmement, comment comprendre que le chef du gouvernement approuve le PAS alors que, lorsqu’il était député LR, il a voté contre le projet de loi de finances pour 2017 lequel englobait cette réforme ?
Cette annonce s’apparente davantage à un tour de passe-PAS politique à quelques jours du premier tour des élections législatives même s’il faut reconnaître que l’exécutif ne pouvait guère attendre pour indiquer ce qu’il comptait faire sur ce sujet. Le gouvernement caresse dans le sens du poil la plupart des parties prenantes. En déclarant que c'est une bonne réforme, il soigne les ménages qui y sont favorables en raison du caractère contemporain que prendrait l’impôt sur le revenu. En déclarant vouloir "garantir que le dispositif sera opérationnel et simple pour les employeurs", il chouchoute les entreprises lesquelles s’opposent à la forme actuelle du PAS dans la mesure où elles sont chargées de prélever l'impôt. La CPME, le Medef et l’Unapl ont d’ailleurs déjà manifesté leur satisfaction au report de la réforme. Et rappelé que les employeurs sont favorables à un impôt contemporain qui soit collecté par l’Etat. Un communiqué du ministère de l’action et des comptes publics y a même rajouté une couche en remerciant tout particulièrement "les agents de la Direction générale des finances publiques ainsi que les entreprises, employeurs publics, organismes de protection sociale et éditeurs de logiciels, qui ont beaucoup travaillé pour la préparation de ce projet". Et il a précisé que "les dispositifs relatifs à l’année de transition seront reportés d’un an et les modalités d’imposition pour 2018 resteront inchangées par rapport à celles en vigueur en 2017. La mise en oeuvre du report fera l’objet de mesures législatives et réglementaires prochainement".
Cette opération relève aussi d’un coup politico-budgétaire. Le premier gouvernement du quinquennat d'Emmanuel Macron a peu de marges de manœuvre pour enclencher rapidement certaines réformes. La France est surendettée et ne parvient toujours pas à «limiter» son déficit public à 3 % du PIB, comme le lui rappelle régulièrement Bruxelles. Or, le démarrage du PAS au 1er janvier 2018 aurait pu produire deux effets néfastes au pouvoir exécutif. Premièrement, la probabilité que certains salariés aient le sentiment que leur pouvoir d’achat soit diminué du fait de la baisse du salaire (net de PAS) versé par l’employeur. Deuxièmement, il existe une incertitude budgétaire que le gouvernement de Manuel Valls avait soulevée en 2016 dans son évaluation préalable au PAS. "La possibilité offerte au contribuable de pouvoir moduler à la baisse, de manière contemporaine, le prélèvement à la source prévu par le projet de réforme du Gouvernement induira un coût consubstantiel à la réforme", prévoyait le rapport sur l’évaluation préalable. Et ce dernier de chiffrer un coût budgétaire de l'ordre de 750 millions d’euros dans l’hypothèse où un quart des contribuables pouvant moduler leur impôt à la baisse décide d’exercer cette option. Un scénario qu’il faut minorer par l’impact des modulations à la hausse, chiffré à 100 millions d’euros. Ce qui revient à dire que le risque (potentiel) de perte budgétaire pour l'année de transition s’élèverait à 2,9 milliards d’euros (4 * 750 millions d’euros – 100 millions). Il faut ajouter à cela les effets progressifs du cadeau fiscal offert sur les revenus non exceptionnels de 2017 qui ne devaient pas être «imposés» — précisément, ils devaient faire l’objet d’un crédit d’impôt de modernisation du recouvrement (CIMR). "La mise en place du CIMR […] conduira à taxer une année de moins les ménages qui verront leur richesse augmenter à hauteur d’une année d’imposition sur le revenu", reconnaissait ce même rapport tout en refusant d'en chiffrer l’impact qui ne se "matérialisera que progressivement" — au moment du décès et en cas de baisse de revenus. Pourtant, le CIMR était estimé dans ce même rapport à 75,1 milliards d’euros. C’est un peu plus que le déficit budgétaire de l’Etat pour l’année 2016. Il s’élève, selon la Cour des comptes, à 69,1 milliards d’euros.
Source: Article Actue EL du 08/06/2017